Les nouveaux plans du secteur immobilier

Dans cette analyse marketing, intéressons-nous à l’immobilier, qui sous un certain angle paraît échapper à la crise. Quels sont les nouveaux déterminants quantitatifs et qualitatifs du secteur ? Franchissons la porte d’un marché en plein mouvement et analysons les tendances actuelles qui priment côté consommateurs…

Chez Ciliabule, nous travaillons avec des clients opérant dans différentes activités et marchés, car c’est ce qui nous intéresse ! Ce qui implique de constamment porter un regard marketing sur tous les secteurs. Récemment, nous avons évoqué dans nos articles les bouleversements subis par le retail, le tourisme, l’hôtellerie, la mobilité, ou encore la culture… Dans certains cas, accélération de tendances structurelles, dans d’autres émergences de nouveaux phénomènes dont il est encore difficile de définir les effets. Parfois, des remises en question bénéfiques mais également des effets pervers délétères. Et souvent, l’existence d’une « zone grise » qui rend toute prévision hasardeuse.

État des lieux de la situation pour l’immobilier résidentiel

Temps 1 : immobilier confiné

Le confinement est annoncé, les habitudes sont bouleversées, les projets contrariés. Les flux humains sont autant modifiés que les flux financiers. 700 000 parisiens désertent la capitale par exemple, les bureaux sont vides. Et sans surprise ce sont des milliers de transactions qui sont annulées ou reportées, même si les supports électroniques, la visioconférence, les outils numériques des notaires, les visites virtuelles prennent en partie le relais. 150 000, c’est le nombre estimé de ventes « perdues » à cause du confinement soit 15% des ventes annuelles, d’après la FNAIM. Le groupe BPCE s’attend à un recul à 820 000 transactions en 2020, alors que plus d’un million se sont effectuées en 2019*, tandis que la FNAIM estime que le nombre de transactions pourrait baisser sur 2020 de 20 à 25%.

Temps 2  : immobilier déconfiné

Dans les faits, la dynamique des transactions est repartie dès la fin du confinement : effet mécanique de rattrapage des transactions qui n’avaient pas pu avoir lieu sans doute, mais pas seulement. L’immobilier s’impose plus que jamais comme un placement judicieux, la valeur refuge alors que la bourse et les actions plongent. Acquérir un bien immobilier devient une garantie sur le plan de la sécurité personnelle et familiale. Les aspirations des consommateurs se tournent vers un investissement fiable sur la durée, en refusant l’incertitude liée aux placements financiers dans le contexte inédit actuel. Autre avantage pour les futurs acquéreurs, les taux bas proposés par les banques : grâce à des taux d’emprunt exceptionnellement intéressants, le pouvoir d’achat immobilier est plus que favorable à l’investissement, d’autant que la durée d’amortissement affiche elle aussi des taux jamais vus, moins de 3 ans ! Par ailleurs, même si une majorité d’acquéreurs est aussi revendeuse avec un profil bancaire favorable, les primo-accédants peuvent désormais davantage prétendre à l’achat. Bien évidemment, de fortes disparités existent entre les marchés et les villes. Mais si tous ces points poussent à franchir le cap de l’achat, les offres ne peuvent pas suivre la subite hausse des demandes. De plus, certains vendeurs hésitent à mettre leur bien sur le marché : ainsi, le prix au m2 en France se monte à 3 601 € (appartements et maisons) en juin 2020 contre 3 414 € en janvier.

immobilier résidentiel vente

Temps 3 : ralentissement sur le terrain

Confinement, chômage, baisse de revenus… une situation qui nuit aux ménages et réduit leur capacité d’emprunt, et ce n’est vraisemblablement que le début… La Banque de France tablant sur un pic du chômage à 11,5% et une courbe supérieure à 10% jusqu’en 2022 contre 7,6% en début d’année, de nombreux projets sont abandonnés. En outre, le durcissement des conditions d’octroi du crédit recommandé dès la fin 2019 par le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) et mis en œuvre aujourd’hui par les banques soucieuses de faire acte de prudence dans le contexte économique et sanitaire actuel freine la dynamique. Première traduction en termes de prix : pas de scénario noir à l’horizon mais plutôt un arrêt de la hausse continue observée ces dernières années, notamment dans les grandes agglomérations, suite à la baisse de la demande pour les raisons évoquées plus haut.

De nouveaux comportements posent leurs valises

  • Quête d’espace : le confinement et le télétravail n’ont fait que renforcer le souhait des français à disposer de plus de calme, de confort et surtout de davantage d’espace ! Il n’est plus seulement question de posséder une maison, un appartement, mais de profiter d’un lieu de vie qui puisse combiner zones de repos et de travail, de s’épanouir dans un habitat favorisant la qualité de vie. Les villes moyennes et départements ruraux déploient des trésors de persuasion pour attirer les urbains et Parisiens ayant mal vécu le confinement : un phénomène que l’on peut observer dans les communications régionales mises en place ces dernières semaines, y compris dans le métro parisien, jouant sur des slogans aguicheurs et des paysages renversants.
  • Changement de vie : pour certains, cette période inédite encourage un changement radical et cela concerne aussi bien les habitants de l’Hexagone que les acheteurs étrangers, à l’image des britanniques en quête d’un coin de campagne pour se retirer sur le territoire français (phénomène en plus dopé par le Brexit). En effet, durant le confinement, plusieurs agences immobilières du département de la Creuse ont été témoins d’un « boum » en termes de demandes. Partout dans le pays, les vacances d’été ont été l’occasion de prospecter en vue d’un potentiel déménagement. On remarquera par exemple un engouement manifeste pour la côte Atlantique.
  • Résidence secondaire, nouvelle échappatoire : les citadins aspirent à la possession d’une résidence secondaire qui leur permettrait de concilier deux environnements pour leur équilibre dans leur vie. Certains français travaillent au sein de grandes métropoles qu’ils quittent une fois le week-end venu, en faveur d’un environnement plus paisible. Ces modes de vie sont évidemment favorisés par le déploiement des lignes de transport, lorsque ces dernières ne voient pas leur capacité d’accueil grevée par le remplissage partiel, la baisse de fréquence, les impacts des mesures sanitaires comme nous le précisions dans notre article dédié à la mobilité. Pour certains, une résidence secondaire est également un premier pas vers une retraite anticipée. Mais si certains territoires voient leur marché immobilier redynamisé par une vague de demandes post-Covid, cela ne favorise pas forcément l’économie locale. Ces résidents temporaires n’auront en effet pas forcément besoin des services dont ils bénéficient sur le lieu de leur résidence principale : écoles, commerces spécifique ou offres de mobilité disponibles à l’année.
  • Nouveaux critères de confort : si le choix d’un lieu de vie dépendait auparavant des commerces et écoles à proximité, d’une ville bien desservie en termes de transports ou encore du niveau de sécurité, l‘accessibilité à un réseau internet de qualité va désormais primer suite à la généralisation du télétravail et aux nouveaux modes de fonctionnement des entreprises. Des aménagements des zones blanches ou moins bien couvertes sont en cours afin d’éviter de creuser les inégalités territoriales. Maintenant, pour vendre une maison ou un appartement, la fibre devient un critère de taille !
  • Nouveau rapport à la distance : alors que la proximité était encore un des critères phares il y a peu, il semblerait que les français soient désormais plus conciliants sur les temps de trajet afin de trouver plus d’espace et de calme. La pandémie modifie les repères et les priorités et révèle la définition d’un nouveau luxe : un lieu de vie confortable, même s’il se situe bien en dehors du centre-ville. Le télétravail accentue également le phénomène.

espace terrasse exterieure

Prudence sur la location

La location en faveur de l’achat ? La crise a stoppé certains particuliers dans la vente de leur bien. En effet, hésitation et prudence freinent les projets des propriétaires, notamment des cadres. Louer s’impose comme la nouvelle stratégie à adopter, au détriment de la vente. Un bien est mis en location, pour procéder à la location d’un autre au besoin. Mais les accords de vente ne seront pas signés dans l’urgence à l’heure actuelle. En outre, la mise en location courte ne séduit plus autant les particuliers : étant donné les pertes de revenus pour les loueurs d’appartements et de maisons, la location de longue durée semble désormais représenter une solution bien plus stable que les séjours express rendus possibles par des plateformes comme Airbnb (sans oublier les conséquences des renforcements règlementaires). Rappelons que pendant le confinement, les loueurs avaient même prêté leur logement aux soignants faute de recevoir une quelconque compensation de la plateforme forcée d’annuler les réservations. Si les revenus générés par une location longue sont bien entendu inférieurs, ils représentent une garantie rassurante.

Un des grands gagnants de la crise, le Coliving

Tout droit venu des Etats-Unis, il séduit de plus en plus. Le concept ? Le partage de lieux avec flexibilité, services et communauté. Mais comment un habitat tourné autour de la cohabitation a-t-il pu tirer son épingle du jeu pendant le confinement, alors que la distanciation sociale était la préoccupation centrale ?

  • Des espaces privatifs pour chacun pour éviter tout contact avec autrui : salle de bain, chambre, toilettes isolés.
  • Des espaces communs aérés et spacieux, un accès à des infrastructures comme une salle de sport, un jardin, une salle de projection selon les logements.
  • Des services de ménage pris en charge et intensifiés.
  • Des espaces studieux adaptés au télétravail, permettant de séparer vie personnelle et vie professionnelle au sein d’un même logement.
  • Des échanges possibles en respectant les gestes barrière, pour des moments partagés.

Ces solutions devraient davantage se développer dans les mois à venir en Europe, à l’aune des nouvelles envies de convivialités et de partage, et en rendant accessibles des services dont les occupants ne pourraient bénéficier autrement.

colocation

Immobilier de bureau en mode pause

Complètement bouleversé par ce recours soudain et massif au télétravail, l’immobilier des bureaux connaît une chute sans précédent. Alors que la saison estivale s’approchait, moins de 50% des salariés avaient fait leur retour dans les bureaux. En Île-de-France, l’activité sur ce marché a subi une interruption quasi totale et la demande placée a atteint un taux historiquement bas. Le secteur, déjà perturbé par la vague des espaces de coworking qui proposent une location souple, a été fortement impacté par la situation incitant à privilégier de plus petits espaces à mesure que le télétravail se généralise. Si le fait pour une entreprise d’être propriétaire de ses locaux était une stratégie d’investissement étant donné la valorisation des actifs immobiliers à la revente, la situation actuelle devrait continuer à reconfigurer le secteur, à faire baisser la demande, et donc les prix.

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Nouveaux enjeux sur le marché

Le marché de l’immobilier avait déjà entamé sa digitalisation qui a progressé de manière fulgurante pendant la crise, notamment à travers la blockchain pour gérer et sécuriser les différents échanges d’informations. En immobilier, ce sont des supports indispensables pour encadrer les transactions, la tenue des cadastres, le marché locatif… De surcroît, le confinement a fait émerger de nouvelles pratiques qui s’installent dans le paysage : visites virtuelles, recours accru à la vidéo, signature informatique pour les contrats de logements vendus directement en ligne. Ces solutions répondent à de nouveaux besoins liés à la sécurité, la limitation de déplacements, le désir de visiter un bien éloigné, le besoin d’instantanéité etc. Rien d’étonnant que cette digitalisation qui touche énormément de secteurs comme nous l’évoquions dans cet article… En ce qui concerne l’urbanisme, les promoteurs immobiliers n’auront d’autre choix que de prendre en compte les toutes dernières aspirations des français. Luminosité et bien-être sont les maîtres mots des promoteurs, conscients que les français ont à cœur de se sentir bien dans leur logement et tiennent à pouvoir travailler depuis chez eux. Qui plus est, les espaces extérieurs, terrasses, jardins, balcons, devraient refleurir dans le paysage urbain. Mais le problème se situe plutôt au niveau de l’offre de logements neufs qui se raréfie et provoque une hausse des prix.

La qualité du logement est maintenant une exigence pour une majorité d’habitants. Corollaire : redécorer son intérieur et améliorer l’aménagement sont au cœur des préoccupations des français, d’autant que le confinement a laissé plus de temps pour de nouveau projets. Des marques comme Leroy Merlin, dont nous avions étudié la communication, promouvaient leur dernière collection en mettant l’accent sur le confort apporté par un intérieur cosy pour toute la famille. Les prochains axes de communication resteront sans doute tournés vers cette notion de personnalisation, de bien-être, d’intérieur à son image. Dans le même ordre d’idée, les architectes d’intérieur proposent de revoir votre logis pour en optimiser l’espace. Le souhait le plus récurrent ? Aménager un coin bureau tranquille ! Les secteurs de l’ameublement et de la décoration d’intérieur ont ainsi de belles cartes à jouer…

 

De nombreuses interrogations subsistent et les réponses viendront abreuver nos prochaines analyses marketing. Nous pouvons d’ores et déjà nous questionner sur l’avenir des open spaces, sur les dispositions qui seront mises en place pour compenser les inégalités territoriales tant pour les transports que la connectivité, ou encore sur la vigueur et la typologie des transactions immobilières dans les mois à venir…

 

Cet article a été écrit et mis en ligne le 23 septembre 2020

*Forbes

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