Le secteur du transport de voyageurs, à l’instar de la restauration et du tourisme, a été l’un des plus durement touchés par la crise. Quand les transports en commun reculent, les modes actifs – vélo, marche à pied, trottinette et autres engins individuels électriques – accélèrent leur développement ! La transformation du secteur devient donc une nécessité, même si toutes les réponses ne sont pas encore évidentes…
La chute brutale des déplacements de la population durant le confinement a mis à mal les acteurs privés et publics avec 80 % de baisse de trafic enregistré en moyenne en France, même – 86 % en région francilienne, dès le début du confinement (enquête Kisio & Roland Berger d’avril 2020). L’objectif est clair : ne pas laisser la voie libre à un retour vers le tout voiture, moyen de locomotion qui semble plus protecteur en matière de contacts individuels, mais qui représenterait concomitamment un bond en arrière en termes d’embouteillages et de pollution de l’air notamment. Comment les acteurs du transport en commun, qu’ils soient autorités organisatrices, exploitants de transports ou entreprises sous-traitantes, ont réagi pendant la crise sanitaire face à une chute vertigineuse de leur activité ? Quels enseignements ont-ils tirés de cette période inédite ? Mais surtout quels nouveaux enjeux se sont dégagés et sur quelles pistes en termes d’innovation ou de changement sociétal le secteur du transport a-t-il dû travailler pour retrouver sa place et sa clientèle ?
Côté exploitants de transport, la désinfection comme premier levier de réassurance
Partout dans le monde, l’intégration des gestes de désinfection dans les transports en commun a permis de rassurer le voyageur et leur garantir un retour en toute sécurité, même si la propreté faisait déjà partie intégrante des process dans la plupart des réseaux urbains et interurbains modernes. Enjeu principal de la crise sanitaire, cette communication a été renforcée, détaillée selon un axe plus pédagogique par les acteurs de transport. C’est aussi pour des sous-traitants l’opportunité de mettre en avant des techniques innovantes telles que les rayons ultraviolets (UV) pour désinfecter les bus et ascenseurs, méthode high-tech et ultrarapide utilisée en Chine pour éliminer toute trace potentielle du nouveau coronavirus.
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Comme pour tous les employeurs et lieux accueillant du public, les procédures de protection du personnel et des clients on été renforcées : cloisonnement de l’espace conducteur par des cabines vitrée, fourniture de gants, de masques et gel pour les salariés et les clients, suppression de la vente de billets à bord pour éviter le contact, masque obligatoire, arrêt des contrôles à bord des bus etc. La tendance du « CARE », déjà répandue dans la plupart des secteurs, se retrouve ainsi également mise en œuvre dans les espaces publics collectifs tels que les transports. A Boston, par exemple, tous les wagons du service de trains interurbains restent ouverts afin de permettre la distanciation physique désormais de rigueur, et ce bien que le nombre de passagers soit ostensiblement plus faible que d’ordinaire.
Un nécessaire réaménagement de l’offre de transport
Étant donné le confinement, l’offre de transport a été brutalement revue à la baisse, tout en veillant à maintenir le service pour les clients et usagers dans l’obligation de se déplacer pour leur travail. En ville pour les réseaux d’autobus comme sur les grands axes ferroviaires régionaux et nationaux, les courses ont été réorganisées, avec des impacts forts en termes de ressources humaines et de communication. L’objectif était double : permettre à la clientèle de se rendre dans les « nouveaux » pôles générateurs représentés par les centres hospitaliers devenus temporairement plus centraux que les gares ou pôles de loisirs, mais également amortir les coûts intrinsèques aux services (salaires des conducteurs, essence, usure des équipements…). En résumé, tous les services urbains reliant des zones résidentielles à des centres névralgiques – centres médicaux ou quartiers commerçants de proximité – ont maintenu un minimum de courses, tandis que les offres très spécifiques comme les services scolaires ou dédiés à un centre de loisirs ou d’éducation (Disneyland, écoles supérieures ou pôles universitaires) ou encore vers un aéroport ont été ralenties ou remplacées par un service à la demande en taxi, comme le fait Rhônexpress à Lyon.
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En termes de tarification, les autorités de transport ont pris des décisions fortes sur le remboursement des abonnements alors même que leur équilibre financier était mis à mal. Le geste commercial vis-à-vis des clients démontre une empathie et un effort partagé face à la situation économique fragile. Enfin, également à l’initiative des politiques, de nombreux réseaux comme à Lille ou aux Pays-Basque offrent l’abonnement ou sont en accès libre à tous les autres professionnels qui œuvrent tous les jours pour maintenir la continuité des activités essentielles : forces de l’ordre, personnels des secteurs de l’alimentation, de la collecte des déchets, du médico-social, de la petite enfance… Enfin, au cœur de la crise sanitaire qui frappe le monde entier, les opérateurs de services interurbains et urbains ont participé à la chaîne de solidarité aux côtés du personnel soignant pour décharger les clusters de l’Oise et de l’Alsace vers les zones moins touchées, mais également au pays de Galles par exemple.
Côté consommateurs, la défiance s’installe
En premier réflexe des français, une certaine défiance vis-à-vis des modes de transports collectifs a émergé avec « près de 6 usagers sur 10 qui n’ont pas confiance pour utiliser les transports collectifs lors du déconfinement, et cela touche tous les modes de transports urbains (métro, tramway, bus), mais également les trains du quotidien TER et Transilien) ». (Enquête Enov et NF Etudes d’avril 2020) ».
Corollaire prévisible, une érosion forte de l’utilisation des transports urbains est à prévoir à court et à moyen terme, on le constate déjà, et va se reporter sur les modes de déplacement plus individuels, marche à pied ou et du vélo. Côté vélo justement, les économistes du transport évoquent plutôt une relance de l’usage du vélo qu’un boom, mettant en avant l’appréhension des cyclistes novices face aux dangers de la route. Enfin, méfiance oblige, l’esprit du moment n’est pas non plus au partage ou collaboratif, avec une absence totale de report sur le covoiturage, malgré l’ouverture de voie dédiée sur des axes autoroutiers parisiens.
Enjeux : être au rendez-vous de la reprise économique tout en rassurant le voyageur !
Dans ce contexte, les enjeux de la sortie de crise concernaient autant les autorités organisatrices que les exploitants de transport. Objectif : remettre en route les transports collectifs en maintenant une offre acceptable et en rassurant les voyageurs quant à la sécurité sanitaire. Cette remise en route est conditionnée par l’intégration de nouvelles règles sanitaires et contraintes de remplissage. Les recettes financières issues du voyageur ou des autorités de transport ainsi que le dimensionnement des capacités seront cruciales pour réaffecter leurs outils de production (nombre de bus et ressources humaines) sur les lignes les plus pertinentes. Le secteur aérien mène les mêmes réflexions face aux impacts économiques qui ont été majeurs : repositionnement de son offre et révision de sa segmentation clientèle pour optimiser sa relance.
Malgré les problématiques financières liées à la baisse des recettes voyageurs, conserver un maillage efficace du territoire est inhérent à la mission de service public des acteurs du transport. Rappelons-le, leur objectif est de permettre à chacun quelle que soit sa situation économique d’accéder aux autres quartiers et territoires en utilisant un transport collectif respectueux de l’environnement pour garantir la liberté de déplacement. Pour rassurer les usagers réticents, la pédagogie sur les mesures mises en place, la réassurance permanente de leur respect et la communication sur ces obligations sont devenus les principaux angles de prise de parole dans cette première étape post-confinement.
Les premières pistes de travail pour éviter la saturation des réseaux
- Elargir les heures de pointes pour répartir la clientèle et pouvoir assurer une distanciation relative. La cible de voyageurs était à ce moment concentrée sur des « pendulaires » domicile-travail avec peu de scolaires et d’étudiants, habituellement très présents sur les réseaux de transports. De nouvelles règles de remplissage des transports en commun se sont vues imposées pour respecter la distanciation : un siège sur 2 soit moins de 50 % de remplissage alors qu’habituellement les transports aux heures de pointes sont proches du 90% de taux de remplissage. Bien que nous sommes ravis que les transports aient repris leur cours, l’expérience voyageurs à cette période était plus appréciable versus des heures de pointe ultra-bondées.
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- Inciter au maintien du télétravail qui est devenue la norme pour certaines entreprises et métiers pendant le confinement. Les comportements vont-ils définitivement évoluer ? Contrairement à ce que les opposants au travail à domicile affirmaient souvent, son recours massif n’a pas provoqué de chute de productivité, même s’il y a encore des protections à prévoir pour les salariés. Il a en tout cas modifié la perception au temps du déplacement, nous pouvons même parler de « démobilité » alors que c’était auparavant un signe de décroissance. Par exemple le SYTRAL (Syndicat Mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise) affiche un partenariat public-privé en signant la charte « transports » dont l’objectif est d’adapter l’offre aux flux de voyageurs, d’inciter les entreprises au télétravail, d’étaler les heures de pointes, et mettre à disposition des kits de protection. Encore aujourd’hui, de nombreuses entreprises permettent à leurs employés de travailler depuis chez eux, parfois même plusieurs jours par semaine, preuve que la crise sanitaire a modifié les mœurs de manière significative.
- Favoriser l’intermodalité pour répartir la clientèle quitte à inciter le voyageur à utiliser les modes dits actifs pour éviter le retour à la voiture avec un vrai travail de partenariat et de solidarité entre modes de transports, bus+vélo ou trottinettes, covoiturage+train ou covoiturage+avion. Inviter à la mobilité active est plus rassurant en termes de distanciation et peut remplacer 50 % des déplacements de moins de 5 km. La marche à pied a une zone de chalandise jusqu’à 2 kms, la trottinette entre 2 et 5 kms et le vélo jusqu’à 10km pour les non sportifs. Une majorité de villes en France et à l’étranger a réagi favorablement à la mise en place de pistes cyclables provisoires. Tous les acteurs se sont employés à réfléchir à un partage de la voie, dans le respect de la sécurité de tous. Citons la ville de Bogota avec plus de 80 kms de pistes supplémentaires temporaires mis en place en avril, ou les 15 kms de pistes provisoires de Montpellier. Le forfait mobilité durable, voté in extremis avant le déconfinement, est une belle opportunité pour que les usagers profitent de cette nouvelle agilité transport.
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- Continuer à apporter toutes les garanties de sécurité sanitaire et du contrôle des règles, avec une réassurance permanente sur la mise en place de procédures strictes. Comme dans tous les secteurs, la communication sur ces aspects fleurit sur les réseaux, dans les points de ventes et à bord des bus ou des trains pour inciter aux bons comportements. Le Nudge, concept issu des sciences comportementales, a donc joué un rôle clé pour garantir l’application des bons gestes. Un point déterminant car si les réseaux ne parviennent à rassurer les usagers, ces derniers risquent de ne plus utiliser les transports en commun pendant quelques mois, tant pour les trajets courts que lors des vacances estivales.
- Accélérer la digitalisation des moyens de paiements pour éviter les points de contact à bord ou en station. La suspension de la vente à bord des titres de transport et la nécessaire distanciation physique ont imposé un changement de fonctionnement concernant la vente à bord pour les réseaux de transports. De nombreux systèmes billettiques novateurs tels que le Mticket, la validation sur smartphone avec postpaiement ou le sms Ticket étaient actifs sur des réseaux mais restaient relativement limités en termes de ventes et de validations. Face à ces nouveaux enjeux, ces innovations billettiques se sont déployés : le ticket de transport dématérialisé s’est imposé comme LA solution alternative et écologique qui facilite le quotidien des usagers dans les transports en commun, notamment dans un contexte de crise sanitaire comme nous l’avons vécu.
- Développer le crowdsourcing au service de l’affluence voyageurs : pour améliorer le confort et favoriser le respect des règles de distanciation, la RATP a développé un nouveau service sur son appli, le crowdsourcing affluence voyageur. Cette technique de marketing collaboratif très usitée dans d’autres secteurs permet ici grâce à un service participatif d’indiquer le niveau d’affluence sur les trajets en métro, RER ou tramway. Grâce aux contributions des voyageurs, à l’identique de Waze pour la voiture, l’information trafic en temps réel est mise à la disposition de la sécurité sanitaire et du confort de chacun, permettant ainsi une meilleure répartition des charges voyageurs. C’est également un bon moyen d’impliquer les consommateurs et d’obtenir une « caisse de résonance » ou un gain de confiance à l’égard du service.
Fondamentalement la crise sanitaire n’a pas modifié le secteur du transport, mais elle a accéléré les tendances marketing et innovations qui sont passés d’un usage marginal à un usage de masse. Et c’est une bonne chose pour l’expérience voyageurs et l’empreinte carbone, étant donné que les parts modales des mobilités alternatives à la voiture utilisée seule sont rapidement revenues à leur niveau d’avant crise. Les temps de crise comme celle du COVID sont difficiles à appréhender pour les exploitants ou les autorités de transport compte tenu des coûts d’investissement et des modèles économiques actuels. Reste le sujet du traçage des personnes qui n’a jamais été aussi brûlant, entre mobilité, sécurité, liberté et confidentialité…
Cet article a été mis à jour le 20 avril 2023